Dix-huit heures, l'heure de se rendre à la ferme, comme tous les soirs, notre bartine à la main -ou une bouteille en verre dans un vieux sac-
pour acheter notre lait frais, qui améliorerait, une fois bouilli dans la grande casserole habituelle, la soupe du soir ainsi que le café au petit-déjeuner du lendemain matin.
Notre arrivée dans la cour de la ferme aux immenses marronniers, se faisait par un chemin caillouteux, bordé de haies épineuses. L'été, c'était comme une agréable promenade avec des baies, des fleurs sauvages de toutes sortes, de l'herbe qui, ramassée à poignée le long des talus, régalerait nos lapins. Souvent, c'était le grand tablier de ma grand-mère, relevé à chaque bout, qui servait de panier pour le transport de ces herbacées. Mais l'hiver, avec sa nuit plus proche, froidement éclairée par la lune, faisait prendre aux haies dépouillées des allures étranges ... et lorsque le vent agitait ce décor d'ombres aux silhouettes biscornues, aucun gamin ne se trouvait à la traîne, les frissons de la peur leur faisant accélérer la cadence du pas !
Souvent, à l'heure de notre arrivée, la traite des vaches n'était pas encore terminée. Pour passer le temps, les trois ou quatre enfants qui avaient accompagné parents ou grands-parents, s'amusaient à tremper leurs mains dans les bâches, à s'éclabousser les uns les autres en tapant à coups de bâton répétés, ou à effaroucher les gros dindons qui, par des glouglous sonores, piqués sur leurs ergots, les grandes plumes de leur queue écartées en éventail, manifestaient leur colère ...
et voici que le jars siffleur, au bec menaçant, avec sa compagnie d'oies, arrivait à la rescousse ! A ce moment-là, pour éviter l'agressivité de ce volatile effronté, les petites canailles s'éparpillaient en courant dans tous les coins que la cour pouvait leur offrir pour s'y cacher !
Le produit de la traite des vaches finissait dans un grand pot, un peu le "grand frère" de notre bartine. Parfois, la fermière, pour nous faire plaisir, prenait un bol, le plaçait sous le pis de la vache et trayait jusqu'à remplir ce récipient de lait tiède et mousseux ... elle nous tendait alors ce bol et, sans aucune crainte de contracter une maladie quelconque, à tour de rôle, nous buvions de longues gorgées de ce savoureux brevage. C'est alors que les visages s'illuminaient de rires moqueurs à la vue de nos lèvres auréolées de mousse de lait.
Entre temps, la fermière avait plongé sa mesure dans le grand bidon plein de lait, pour remplir les bartines présentées par les clients et cette clientèle des soirs ... parfois même des matins, repartait en pensant se régaler de soupe ou de pommes de terre cuites écrasées, mouillées de lait frais !
Etamine
Définitions :
Bartine : bidon en fer blanc muni d'un couvercle attaché par une chaînette et servant à transporter le lait frais
Bâche : grand bassin/abreuvoir de pierre ou de bois servant à contenir l'eau pour les animaux.
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